search

Accueil > Russe > Echanges > Saint-Pétersbourg > III. DE LA REVOLUTION AU POST-COMMUNISME (Robert Chantin)

III. DE LA REVOLUTION AU POST-COMMUNISME (Robert Chantin)

lundi 20 septembre 2004, par Annette LEFEBVRE

Capitale de l’Empire des Tsars, puis de la Russie révolutionnaire, la ville perd cette fonction en janvier 1918. Elle reste cependant au cœur de l’histoire de l’URSS et de l’Europe. Ses trois changements de nom témoignent de l’ampleur des ruptures intervenues comme de l’attachement des sociétés à la charge symbolique du nom d’un lieu.

I. SAINT-PETERSBOURG : CAPITALE D’UN EMPIRE EN CRISE

1. Industrialisation et idées nouvelles :

A partir de 1890 et avec l’afflux de capitaux étrangers, en particulier français, la Russie tsariste s’industrialise rapidement. Sans transition s’édifient, notamment dans la capitale, d’énormes usines regroupant des milliers d’ouvriers. Les conditions de travail (journée de 13 heures, salaires très bas, grèves interdites) et de logement y sont terribles et suscitent de brutales pulsions de révolte (grèves dans le textile à Saint-Pétersbourg en 1896).

Les idées socialistes, nées en Europe occidentale, gagnent la société russe : les intellectuels (souvent exilés) puis la classe ouvrière et une frange de la paysannerie. Trois grands courants émergent : les socialistes-révolutionnaires, anti-marxistes, issus du courant populiste du 19e siècle, et les deux branches de la social-démocratie, séparées en 1903 entre les mencheviks réformistes (leader principal Plekhanov) et les bolcheviks, partisans d’une révolution radicale, dirigée par un parti de révolutionnaires professionnels. Le théoricien de ce courant est Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine. Né en 1870, il vit une jeunesse étudiante marquée par l’engagement dans des organisations étudiantes clandestines, ce qui lui vaut d’être exclu de l’Université de Kazan en 1887 (année de l’exécution de son frère pour tentative d’assassinat du Tsar) et assigné à résidence. Son histoire croise une première fois la capitale lorsqu’en 1896 il s’inscrit à l’Université pour achever ses études de droit.

2. La Révolution de 1905

En 1904 commence la guerre russo-japonaise qui très vite tourne à l’avantage de l’Empire du Soleil Levant, marquant l’irruption d’une puissance asiatique sur la scène mondiale. Les défaites, humiliantes pour le tsarisme, ont un double effet : favoriser l’émergence d’une opposition bourgeoise libérale (soutenue par la frange éclairée de l’aristocratie) favorable à une évolution vers une monarchie parlementaire à l’anglaise, et répandre dans le peuple affamé un profond mécontentement. C’est dans la capitale qu’il éclata.

Le 22 janvier 1905, 100.000 manifestants, sans armes, porteurs d’icônes et de portraits du Tsar marchent sur le Palais d’Hiver pour y déposer une supplique au souverain. La réponse est une fusillade des cosaques, faisant un millier de morts. Ce " Dimanche rouge " manifeste, malgré les concessions ultérieures, l’incapacité du régime à se réformer. Toute l’année est marquée par une agitation multiforme qui ne débouche pas sur le plan politique. Le régime, sauvé, n’est cependant qu’en sursis.

II. PETROGRAD, CAPITALE D’UN PAYS EN GUERRE, PUIS DE LA REVOLUTION DE 1917

1. Au sein de la crise qui affecte les relations entre puissances européennes en juillet 1914, la Russie tsariste adopte une ligne intransigeante, avec solidarité absolue avec la Serbie orthodoxe et agressivité à l’égard des Empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie). La consonance germanique du nom de la capitale n’étant plus de mise, celle-ci est rebaptisée Petrograd. L’engagement dans la guerre, dans un climat de nationalisme échevelé, bénéficie du soutien de la quasi-totalité des forces politiques, à la seule exception des anarchistes, des bolcheviks et d’une minorité des mencheviks.

2. Malgré quelques succès initiaux, la guerre devient rapidement un long calvaire pour une armée russe mal équipée, mal commandée. L’économie est profondément désorganisée, l’inflation et la pénurie de produits de première nécessité frappent brutalement les classes populaires mais aussi les fonctionnaires et employés.

3. C’est dans la capitale que naît le mouvement révolutionnaire de Février 1917. Le 22 janvier, jour anniversaire du " Dimanche rouge ", 40% des ouvriers (ceux-ci représentent la moitié de la population d’une ville de 3 millions d’habitants) se mettent en grève. Le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, les ouvrières de Pétrograd, accompagnées d’ouvriers de Poutilov, manifestent. Le lendemain, les manifestations reprennent, plus larges (le pain manque, ainsi que le chauffage, alors qu’il fait -20°). Le 10, les manifestants défilent sur la perspective Nevski ; certains sont armés, des policiers sont molestés. Le Tsar donne alors à l’armée de " faire cesser les désordres ". Le 11, un dimanche, les manifestants sont accueillis par les tirs faisant des dizaines de morts. Mais une partie de l’armée se rallie à la foule. Le Palais d’Hiver est pris par le régiment Pavlovski. Le régime s’effondre.

4. La Révolution d’Octobre

La Révolution de février avait abouti à un double pouvoir : le gouvernement provisoire et le soviet de Pétrograd, siégeant d’abord au Palais de Tauride puis à l’Institut Smolny. Hostiles au GP, minoritaires dans les soviets, les bolcheviks profitèrent du choix du GP de continuer la guerre et repousser les réformes pour étendre leur influence et gagner la majorité dans les soviets des grandes villes (été 1917).

Fin octobre, Lénine (revenu d’exil en avril) estime que la situation est " mûre " et qu’il est temps de lancer une seconde révolution donnant le pouvoir aux bolcheviks et leurs alliés éventuels. La nuit du 24 au 25 octobre (selon le calendrier orthodoxe alors en vigueur, 6-7 novembre selon le calendrier grégorien), les gardes rouges investissent tous les points stratégiques de la capitale (ponts, gares, banques, postes, centraux téléphoniques, Palais de Tauride). Le 25 au soir, le Palais d’Hiver où siège le GP est encerclé ; les canons de la forteresse Pierre-et-Paul comme ceux des croiseurs Aurore et Amour sont pointés sur lui. A 21 heures 40, l’assaut est donné. Le GP tombe, une nouvelle ère politique commence. Deux mois plus tard, Pétrograd perd son statut de capitale. En 1924, elle reçoit le nom du fondateur de l’URSS, Lénine.

La perte par l’URSS des pays baltes fait perdre à Léningrad son hinterland occidental. En revanche, l’effort d’industrialisation et d’urbanisation des années 30 lui permet de diversifier ses activités. A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, la ville compte 3,4 millions d’habitants.

III. L’AFFAIRE KIROV

Né en 1886, Sergueï Mironovitch Kostrikov dit Kirov est en 1934 le " numéro deux " du Parti communiste d’URSS et apparaît donc comme le dauphin de Staline. Il est depuis 1925 à la tête du Parti à Léningrad. Sa grande popularité, l’opposition qu’il manifeste à certains aspects de Staline font que certains voient en lui une alternative moins autoritaire à celui-ci. Le 1er décembre 1934, il est mystérieusement assassiné (il semble que Staline ait commandité l’assassinat). Staline profite de ces circonstances pour lancer la première vague de procès au sein du Parti communiste : les " procès de Moscou " de 36, 37, 38 sont la " vitrine " des purges généralisées dans tout le pays.

Son nom est attribué alors au ballet de Léningrad, grand rival du Bolchoï.

IV. LA VILLE ASSIEGEE, MARTYRE, HEROIQUE

Alors que les deux pays ont signé le 23 août 1939 un pacte de non-agression, l’Allemagne part à l’assaut de l’URSS le 22 juin 1941. Forte de l’effet de surprise, de ses 235 divisions avec 4,6 millions d’hommes, 5000 chars, 4000 avions, la Wehrmacht pense arriver à Moscou avant l’hiver. Mal préparée, déstabilisée par d’énormes purges en 1938, l’Armée rouge est balayée. Dès août, Léningrad est assiégée. Commence alors un interminable blocus de 900 jours, qui fit près de 900 000 morts.

Dès l’automne 1941, la famine sévit dans une ville qui n’est plus reliée au reste de l’URSS que l’hiver par le lac Ladoga : lorsqu’il est gelé, une route est tracée, permettant l’acheminement du ravitaillement. Dans des usines sans chauffage, les ouvriers continuent à forger des armes pour la défense de la ville.

Le 9 août 1942 est exécutée la 7e symphonie de Dmitri Chostakovitch, dite " de Léningrad ", célébrant l’héroïsme de la ville.

Alors que l’étau du siège s’est peu à peu desserré, ce n’est que fin janvier 1944 que le blocus est définitivement levé. Un million d’habitants sont décorés pour la défense de la ville.

Après une période de déclin due aux pertes humaines et aux destructions, la ville, qui a conservé sa fonction de grande capitale intellectuelle et artistique, retrouve son dynamisme au cours des années 1960-1970. Un énorme effort de reconstruction des monuments est lancé et abouti à un effacement quasiment total des traces du siège. Parallèlement, l’industrie se diversifie, notamment dans des activités à faible apport de matières premières comme la pharmacie, la chimie fine (pellicule photos), l’habillement.

V. A NOUVEAU SAINT-PETERSBOURG

A la suite de l’effondrement de l’URSS et d’un référendum, la population choisit de revenir au premier nom de la ville. La boucle se ferme.

L’ouverture économique vers la Baltique, la fin de la bipolarisation rendent à la ville sa fonction initiale de porte ouverte sur le monde scandinave et, au-delà, l’Europe de l’Ouest et le reste du monde.

Nous irons donc à Saint-Pétersbourg, sans oublier la part prise dans l’histoire par Petrograd et Léningrad.