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II. DU BAROQUE A L’ART NOUVEAU (Robert Chantin)

mardi 21 septembre 2004, par Annette LEFEBVRE

La ville, dans sa construction comme dans sa conception, est l’œuvre de la dynastie des Romanov. Les grands successeurs de Pierre le Grand, Elisabeth Petrovna, Catherine II et Alexandre Ier ont, non sans choix esthétiques nouveaux, conservé la cohérence voulue par l’initiateur, tendant vers un urbanisme fondé sur un plan d’ensemble issu du rationalisme et des principes d’économie des temps nouveaux. Ceci se fit au prix de sacrifices humains terribles que seul un régime politique de fer pouvait imposer : sous le règne de Pierre, plus de 100 000 hommes périrent, de froid ou de dysenterie, dans les eaux de la Néva, pour implanter les pieux nécessaires aux fondations des constructions.

I. LA VILLE BAROQUE

Choix issu de la volonté de Pierre. Chantiers dirigés par des architectes étrangers, particulièrement Domenico Trezzini (1670-1734). Moins qu’une volonté esthétique, ce choix procédait chez Pierre de son obsession de rompre avec tout ce qui venait de Moscou, d’où l’appel à des artistes européens. Quelques exemples :

- La Cathédrale Pierre-et-Paul, au sein de la forteresse éponyme. Le plan basilical rompt avec le plan central des églises orthodoxes, la recherche de la lumière est délibérée, en trois nefs déployant un riche décor de fresques et de stucs baroquisants. Elle sert de mausolée des tsars de la dynastie des Romanov, tous bourreaux de leur peuple et un sur deux ayant péri assassiné. La forteresse fut aussi le théâtre de drames : Pierre y fit torturer à mort son fils Alexis, accusé de s’opposer à sa politique ; en 1825, exécution des Décembristes, officiers nobles ayant comploté pour abattre l’absolutisme ; en 1881, exécution des assassins d’Alexandre II et en 1887, exécution du frère aîné de Lénine.

- L’œuvre de Francesco Bartolomeo Rastrelli (1700-1771). Arrivé à 16 ans avec son père, il se forme sur les chantiers dirigés par ce dernier. Son œuvre, qui culmine entre 1740 et 1750, compte pas moins de 75 réalisations, dont les plus marquantes sont les châteaux de plaisance de Peterhof/Petrodvorets et de Tsarskoïe Selo, le Palais d’Hiver, le monastère Smolny et les palais Stroganov et Vorontsov. Son style se caractérise par l’abondance des formes, l’exubérance du décor, l’intensité des couleurs, rehaussées par des colonnades blanches, l’usage de l’or sur les chapiteaux et les sculptures. L’église du monastère Smolny apparaît comme son chef d’œuvre : toute de fantaisie, d’exubérance, de fantaisie, elle représente une synthèse entre les volumes, les volutes, les courbes rappelant le baroque italien et un décor de dômes et bulbes tant prisés par la dévotion slave orthodoxe.

- La statue équestre de Pierre, au bord de la Néva, commandée par Catherine II à Etienne Falconnet. Rien de classique : ni uniforme romain, ni socle géométrique, ni cheval au pas, mais un cheval cabré, avec un cavalier assis sur une peau d’ours, étendant un bras protecteur sur la ville qui est son œuvre. Le socle de granit de plus de mille tonnes a une histoire étonnante. Découvert par un paysan finnois, il fut extrait de la tourbe, transporté jusqu’à la mer, débarqué au bord de la Néva, installé brut, non taillé. Cela prit plusieurs mois. Seule l’inscription Petro primo, Catharina secunda MDCLXXXII y figure. La statue exprime la double dimension du personnage, la sauvagerie primitive et la grandeur civilisatrice.

II. LE REPLI CLASSIQUE

- La fin du 18e siècle est marquée par la manifestation de la double inspiration classique et baroque. Après que Rastrelli ait été écarté, intervient le Français J.B. Michel Vallin de la Mothe (1729-1800), introducteur du style Louis XIV à Saint-Pétersbourg. Auteur des plans de l’église Sainte Catherine, du pavillon de l’Ermitage et des quais de la Neva, il réalise la volonté de Catherine II d’opérer un contrôle étatique des Beaux-Arts. La raideur classique de ses œuvres s’oppose à la fantaisie rococo de son rival Antonio Rinaldi (1710-1794) exprimée dans le palais d’Oranienbaum (Lomonossov).

- Ensuite, l’inspiration classique domine, avec une forte influence antique inspirée de Palladio (16e siècle), d’où le nom de palladianisme. Le classicisme donna des formes rigoureuses sous l’influence de Giacomo Quarenghi (1737-1799), entre autres à l’Académie des Sciences, ou tomba dans un côté précieux et languissant avec l’écossais Cameron (1740-1812), avec la villa palladienne de Pavlovsk Décliné en style Empire au 19e siècle, le classicisme s’exprime par les lignes de colonnades entourant les grandes places de la ville. Un legs très contesté de l’influence classique française est constitué par l’église Saint-Isaac, élevée de 1818 à 1858. Les innovations techniques (fonte pour la charpente de la coupole) ne sauraient masquer l’ostentation de la puissance ici exprimée, la lourdeur des volumes, même si la polychromie (murs en granit gris, colonnes roses, bronze des statues et portes, or des dômes) tend à alléger quelque peu l’ensemble. Il est vrai qu’à peu près au même moment on construit la cathédrale de Fourvière à Lyon et le Sacré-Cœur de Montmartre, autres monstres architecturaux.

III. AU DEBUT DU 20e SIECLE, L’ART NOUVEAU

Totalement en phase avec le courant en vogue dans les autres pays européens, l’art nouveau présente trois caractéristiques majeures : il s’exprime en des lieux nouveaux, immeubles commerciaux, hôtels particuliers ; il associe des matériaux divers, verre coloré, métal, céramique ; il crée des formes nouvelles, avec fréquence du décor végétal, des formes toutes en courbes. Voir le magasin Elisseev sur la perspective Nevski.

IV. LA FABULEUSE HISTOIRE DES BALLETS RUSSES

Appelés ainsi parce qu’issus de l’Ecole impériale de ballet de Saint-Pétersbourg. L’essentiel de leur histoire se passe à Paris. Au centre, Serge de Diaghilev, imprésario avisé. Deux époques : jusqu’en 1912, ballets issus de partitions de musiciens russes, intégrant la puissance du folklore, notamment Borodine (Le Prince Igor) et Rimski-Korsakov (Shéhérazade), puis Stravinski (L’oiseau de feu et Pétrouchka) avec un danseur phare, Vaslav Nijinski ; après 1912, ballets sur des partitions de musiciens français comme Debussy (L’après-midi d’un faune sur un poème de Mallarmé), Eric Satie (Parade, argument de Jean Cocteau, costumes et décors de Picasso), mais aussi Stravinski (Le sacre du printemps). Ces ballets, en rupture intégrale avec le ballet classique, soulèvent le scandale des bien-pensants (" danse de Canaques ", " rampent comme des phoques " etc…).

V. AVANT-GARDE ARTISTIQUE ET REVOLUTION

Avant même la Révolution de 1917 a émergé une avant-garde dans les domaines de la littérature, de la poésie, des arts plastiques, avec le peintre Vassily Kandinsky, le graphiste Lissitzky, le poète Maïakovski, le plasticien et photographe Rodtchenko. Rejetant l’art traditionnel, délibérément provocateurs et niant la notion même d’art, ils se tournent vers les objets familiers (meubles), les décors urbains, le peuple, associé aux productions théâtrales.

Après la Révolution, une partie d’entre eux cherche à faire de l’art un instrument contribuant à la transformation de la société et de l’homme. Ce sont principalement des architectes et plasticiens qui vont fonder le courant constructiviste. Le constructivisme vise à créer un cadre architectural (habitat, usines, locaux culturels) exprimant et accompagnant l’émergence d’une société libérant l’homme et les rapports sociaux. En poésie comme en production d’images (photographie, affiches) ou en objets usuels, la même tendance s’affirme.

Mais sous Staline, ce courant est définitivement condamné dès 1930 comme fantaisiste et utopique. Sa volonté de révolutionner les rapports humains, y compris dans les rapports familiaux et conjugaux, est rejetée. C’est le retour à une morale traditionnelle : le temps des révolutions est clos, le monde nouveau rêvé par la bolchevique Alexandra Kollontaï où " l’union libre sera portée par l’esprit de camaraderie ", où " des rapports nouveaux entre l’homme et la femme assureront à l’humanité toutes les joies de l’amour libre ennobli par l’égalité sociale véritable entre les deux époux " (La Famille et l’Etat communiste, Moscou 1920) est définitivement rejeté en Russie.

Ceux qui avaient été porteurs de cette avant-garde intellectuelle ont le " choix " entre le suicide (Serge Essénine et Vladimir Maïakovski), l’exil (l’écrivain Evguéni Zamiatine, auteur de l’antiutopie Nous autres), la soumission à l’ordre stalinien ou le Goulag (le metteur en scène Meierkhold), parfois les deux.